Prendre en charge la violence : Qu’en-est-il du vécu contre-transférentiel des soignants ?
Dans les soins, les situations de violences peuvent mettre à l’épreuve les capacités soignantes des intervenants et la solidité même des cadres de soins. Si l’on admet que les patients s’adressent au cadre de soins et aux soignants dans une réactualisation transférentielle, nous admettons alors que les soignants ont à tolérer certaines manifestations du matériel traumatique déposé dans les espaces de soins, en attente discrète ou manifeste de traitement.
La charge traumatique imposée par ces situations demande un vrai travail de contenance psychique et de mise en représentation de ses contenus venant régulièrement effracter les équipes soignantes. L’intrication complexe des problématiques personnelles, familiales et contextuelles des sujets aux prises avec des situations de violence (agie, subie, …) comporte également que les professionnels aient à travailler à divers niveaux d’interventions, avec d’autres, et dans une certaine zone de risque (de nouvelles victimisations, de nouvelles agressions, etc).
Les défenses des soignants sont alors légitimement convoquées afin de se protéger contre ces multiples enjeux psychiques et factuels. Il est donc important que les éprouvés difficiles, voire parfois pénibles, puissent être reconnus et élaborés par chaque professionnel et par les équipes dans des espaces autorisés par les services. A. Ciccone (2017) fait l’hypothèse que des éprouvés contre-tranférentiels haineux de la part des soignants, qui ne seraient suffisamment élaborés, seraient parfois à l’origine de réponses soignantes prenant figure de rétorsion. D’autres éprouvés (p.ex. la honte et la culpabilité, la confusion, …), peuvent aussi pousser les soignants à des agirs contre-tranférentiels envers les patients (indifférence, non-écoute, collusion, sidération, séduction, fascination, excès de compassion, …) et peuvent favoriser « la répétition du même » et parfois induire la violence.
Rappelons également que l’espace de soins peut être infiltré par l’attente implicite du professionnel envers les usagers, si l’on accepte l’hypothèse que la position soignante s’origine le plus souvent dans une nécessité de réparation d’histoires infantiles traumatiques en quête de sens. Des situations mettant à mal les soins, peuvent mettre à l’épreuve de telles attentes réparatrices – souvent idéalisées – transférées sur les patients. Si ce registre essentiellement personnel n’est pas suffisamment élaboré, les soignants sont à risque d’agir contre les usagers le dépit de ces attentes.
Il semble très important alors que des espaces bienveillants en équipe permettant la ventilation des affects et l’élaboration psychique puissent être préservés par les services et considérés comme un outillage essentiel au travail de l’appareil psychique groupal et institutionnel. Aussi, il est primordial « que le processus de pensée se porte sur les liens ; ces liens que les professionnels développent à l’égard de leur « objet » professionnel (auto-observation), ceux qui se développent entre le professionnel et son groupe professionnel d’appartenance, et entre ce groupe et son « objet » » (Gaillard, 2004).
Dans ce sens, il est important que la formation des professionnels – bien sûr nécessaire – ne se substitue pas à l’analyse que chaque soignant devrait porter envers sa propre pratique au niveau des enjeux propres à chacun dans le choix de la profession.
Floriano von Arx
Psychologue-Psychothérapeute FSP
Références
Ciccone, A. (2017). Les sources « contre-tranférentielles » de la violence. Violences et Malêtre – Discriminations et radicalisations, Patrick-Ange Raoult et al., Dunod
Gaillard, G. (2004). De la répétition traumatique à la mise en pensée : le travail psychique des professionnels dans les institutions de soin et de travail social. Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, 42,(1), 151-164.