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La zone grise du consentement libre dans la sexualité entre partenaires intimes

Auteurs : Catarina Pereira, Dr Emmanuel Escard.

 

Dans le cadre de la réforme de la définition du viol en Suisse et des débats sur le consentement en matière sexuelle, il nous paraît important d’apporter un éclairage spécifique sur les violences sexuelles entre partenaires intimes.

Les violences entre partenaires intimes sont définies comme « tout acte de violence au sein d’une relation intime, qui cause un préjudice ou des souffrances physiques, psychologiques ou sexuelles aux personnes qui en font partie ». Ces violences peuvent se produire dans tout contexte relationnel (couples hétérosexuels, homosexuels, mariés ou non, vie commune ou non, etc.) et peuvent également être agies par des femmes même si, statistiquement, celles-ci en sont beaucoup plus souvent les victimes. Les violences sexuelles désignent quant à elles les actes à caractère sexuel non consentis ou imposés par la force ou la menace (violence physique mais également psychologique, détention, abus de pouvoir, etc.).

Les « violences sexuelles entre partenaires intimes » (VSPI) sont, selon l’OMS (2013), la forme de violence sexuelle la plus répandue dans le monde et concernerait jusqu’à un tiers des femmes. Une enquête ENVEFF en 2000 en France sur un grand échantillon révélait qu’un quart des rapports sexuels après 2 ans d’union et la moitié d’entre eux après 20 ans d’union sont non désirées par les femmes. Selon l’Observatoire national français des violences faites aux femmes (enquête de 2022), neuf femmes sur dix auraient déjà ressenti une pression pour avoir un rapport sexuel. Les violences sexuelles entre partenaires intimes cohabitent le plus souvent avec d’autres types de violence à savoir les violences physiques et psychologiques, voire économiques.

Les VSPI restent difficiles à détecter et explorer par les professionnel-le-s. En effet, elles demandent une formation spécifique et une alliance thérapeutique suffisante avec les patient-e-s concerné-e-s qui ont souvent du mal à en parler ou n’identifient pas forcément comme violences des pratiques sexuelles subies et, plus ou moins acceptées, de manière régulière.

 

La question du consentement sexuel et, plus spécifiquement, celle du consentement sexuel dans le cadre de relations violentes apparait alors comme un enjeu majeur d’un point de vue clinique et éthique. Le consentement sexuel peut être défini comme l’accord à s’engager dans un acte sexuel. Il reste une notion taboue dans le couple, pouvant être une source de grandes souffrances avec des conséquences encore plus sévères que dans d’autres contextes, alors même que le couple devrait représenter un lieu de sécurité. Toutefois, le couple fonctionne sur un certain nombre d’acquis, de routines difficiles à changer, de représentations individuelles et collectives, des désirs divergents où des refus peuvent être difficiles à exprimer ou à accepter en raison d’enjeux individuels, familiaux, économiques ou socio-culturels. La sexualité a des fonctions multiples et peut par exemple être ressentie comme une source de récompense et de plaisir, un renforçateur de l’identité sexuelle, un régulateur émotionnel individuel et conjugal, un médiateur dans la relation.

Le consentement sexuel éclairé nécessite discernement (la personne doit avoir une compréhension claire de ce à quoi elle consent et les ressources cognitives nécessaires pour que le consentement soit légitime) et liberté de choix (choix propre, autonome et non contraint). Un rapport peut être désiré mais refusé ou non désiré mais consenti.

Un auteur, Basile KC, en 1999, soulignait l’importance de considérer la question des violences sexuelles au sein d’un couple sur un continuum de sévérité en catégorisant plusieurs manières de se « laisser faire » : du non désiré qui devient du désiré ; c’est mon devoir (conjugal); accepter pour ne pas se disputer; accepter parce qu’on ne sait pas ce qui risquerait d’arriver ou on sait qu’il va y avoir des violences en représailles. Les cas extrêmes de violences avérées comme les viols conjugaux restent heureusement minoritaires, cependant il existe beaucoup de situations où domine un certain flou, où ce n’est pas vraiment oui ni vraiment non au niveau du consentement…

Sanchez et coll. (2023) se sont intéressés à la manière de caractériser des VSPI et reprennent une proposition faite par Bagwell-Gray ME en 2019 (cité par Sanchez et coll.). Les violences sexuelles pourraient être conceptualisées selon deux axes, en fonction du degré d’envahissement qui caractérise l’événement (avec pénétration versus attouchements et agressions sans contacts) et du type de forces utilisées (utilisation de la force physique ou utilisation de la force psychologique). Ce modèle a, entre autres, l’avantage de souligner l’importance des violences psychologiques actives dans le cadre des VSPI.

Le concept de coercition sexuelle – concept auquel la littérature spécialisée a porté un intérêt croissant ces dernières années – apparait alors comme fondamental. La coercition sexuelle regroupe l’utilisation de moyens psychologiques, verbaux ou non verbaux, pour obtenir un acte sexuel (mensonges, menaces par exemple de mettre fin à la relation ou de s’en prendre aux enfants, usure de la résistance par des demandes sexuelles répétées ou l’utilisation d’un statut d’autorité). Elle permet de décrire l’utilisation de toute tactique ou stratégie dans le but d’engager une autre personne dans un comportement sexuel malgré l’absence de consentement libre et éclairé, ou l’expression manifeste d’un refus. Les stratégies dites coercitives peuvent correspondre à l’utilisation de la manipulation (entre autres par l’entremise de promesses ou l’induction de la culpabilité), à des attouchements persistants importuns (qu’il s’agisse de caresses ou de baisers), à l’intoxication du partenaire (qu’il s’agisse de drogues ou d’alcool), ou à l’utilisation de pressions verbales ou de la force physique. Elle peut être aggravée en fonction de certains facteurs du côté de l’auteur favorisant des troubles cognitifs, comme la consommation d’alcool ou certains troubles psychiques ou neurologiques. Les troubles de l’attachement jouent aussi un rôle aussi bien du côté des auteurs que des victimes.

 

La détection des situations de violences sexuelles en couple est difficile car cela implique du tact et de la persévérance chez les professionnel-le-s, de la compréhension et de la confiance du côté des victimes. Il n’existe pas de tests simples avec quelques questions permettant de cerner ces situations au plus près des réalités des couples et de leur dynamique. A la question clinique se rajoutent parfois des enjeux médico-légaux. D’une part, la révélation et la description précise des faits peuvent prendre beaucoup de temps, ce qui peut rentrer en conflit avec le temps judiciaire qui a besoin de détails rapidement après une plainte ou un signalement pour initier une procédure. D’autre part, les éléments de preuve sont souvent moins présents que dans d’autres contextes de violences sexuelles et les condamnations plus rares et plus légères (cf travaux de M. Lieber à Genève).

Le travail de reconnaissance et de validation à tous les niveaux de cette problématique reste donc encore très étendu.

 

 

Bibliographie

 Basile Basile, K. C. (1999). Rape by acquiescence: The ways in which women “give in” to unwanted sex with their husbands. Violence Against Women, 5(9), 1036–1058.

Benbouriche M, Parent G. La coercition sexuelle et les violences sexuelles dans la population générale : définition, données disponibles et implications. Sexologies 2018, 27(2) :81‑86. https://doi.org/10.1016/j.sexol.2018.02.002

Denis I, Brennstuhl MJ, Tarquinio C. Les conséquences des traumatismes sexuels sur la sexualité des victimes : une revue systématique de la littérature. Sexologies 2020, 29(4):198‑217. https://doi.org/10.1016/j.sexol.2020.05.001

Farris C et al. Sexual coercion and the misperception of sexual intent. Clinical Psychology Review 2008, 28(1):48‑66. https://doi.org/10.1016/j.cpr.2007.03.002

Jaspard M et coll. Nommer et compter les violences envers les femmes : une première enquête nationale en France. Population et Sociétés 2001, 364:2-4.

Karantzas GC et al. Attachment style and less severe forms of sexual coercion : a systematic review. Archives of Sexual Behavior 2016, 45(5):1053‑1068. https://doi.org/10.1007/s10508-015-0600-7

Kaufmann JC. Pas envie ce soir. Le consentement dans le couple. Ed. Les liens qui libèrent, 2020.

Lieber M. Oui, c’est oui. Le consentement à l’épreuve de la justice. Penser la Suisse, 2023.

OMS. Global and regional estimates of violence against women: prevalence and health effects of intimate partner violence and non-partner sexual violence. Genève, 2013.

Sanchez M, Fouques D, Romo L. Violences sexuelles entre partenaires intimes : caractéristiques et enjeux cliniques. Annales médico-psychologiques 2023, 181:24-31.

Révision du droit suisse : https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-99508.html

 

 

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Publié par Sandrine Tinland

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