consentementéthiqueViolences sexuelles

Pour une éthique sexuelle au-delà du consentement

Synthèse par Dr E. Escard.

 

L’éthique sexuelle appliquée, née dans les universités américaines, a fait son apparition plus récemment dans le monde francophone. Son originalité est de rompre avec l’héritage religieux et psychanalytique, de refuser un statut d’exception à la sexualité et la placer sur le même plan que les autres comportements sociaux. Il s’agit de chercher à départager l’acceptable de l’inacceptable, le légal de l’illégal, sur la base de raisonnements rationnels. Son but est de reconstruire, après le fantasme permissif de la libération sexuelle, un cadre moral assez souple pour tenir compte de la diversité des pratiques, avec en ligne rouge l’atteinte à la dignité humaine.

Pour rappel, les droits sexuels sont des droits humains liés à la sexualité. Ils émanent des droits à la liberté, à l’égalité, au respect de la vie privée, à l’autonomie, à l’intégrité et à la dignité de tout individu. Ils reconnaissent le droit à vivre en toute sécurité une vie sexuelle satisfaisante et agréable, exempte de toute forme de coercition, de discrimination et de violence ; le droit de choisir un-e partenaire et aux relations sexuelles de manière consensuelle. D’après Campagna N, la dignité est interprétée comme la capacité de se distancier de manière critique de ses propres envies et de s’opposer en rappelant le droit aux envies de l’autre. La recherche du plaisir sexuel ne sera moralement légitime que dans la mesure où elle a d’abord fait l’objet d’une telle distanciation critique, avec un refus de s’en émanciper, et en respectant l’autre comme un être à qui seul il revient de décider des actes sexuels qui peuvent s’inscrire dans son projet de vie. Cela implique le respect de l’autre dans sa liberté de refuser certaines pratiques et le respect de soi en tant qu’être capable de respecter le refus de l’autre. Cette morale de la sexualité se situe aux antipodes de deux positions extrêmes : celui de l’anarchisme sexuel effréné et celui de la sexualité ayant comme seule finalité la génitalité ou la reproduction. Le désir sexuel, qui est légitime, devrait aboutir à une ouverture à une authentique relation réciproque entre les personnes concernées.

 

La notion de consentement dont on parle beaucoup au niveau juridique avec la modification de la définition du viol, comporte des ambiguïtés avec le risque de voir s’imposer une définition idéalisée si exigeante qu’elle est impossible à satisfaire. Il est de plus l’expression plus ou moins explicite et manifeste des préférences et désirs individuels, mais il n’est pas un concept éthique capable de justifier un acte, celui-ci pouvant même être immoral voire illégal (p.ex consentir à être un esclave sexuel ou à être mutilé). Le consentement est souvent reçu comme témoin d’une liberté, d’une autonomie, alors que dans la réalité du vécu il subit des contraintes sociales, culturelles, économiques et psychologiques influençant les choix. Dans l’extrême, le consentement ne pourra jamais être total et éclairé, sans contrainte émotionnelle ni séduction, le contexte sexuel faisant une large place à l’imprévu et au jeu dans l’action et à un état de conscience modifié dans le lâcher prise réciproque. Le consentement se situe entre le pacte de confiance et le laisser-faire, et implique de s’interroger sur ce qu’on veut qu’autrui nous fasse et sur ce que l’on consent à faire à autrui. Cela implique une bonne interprétation des signaux réciproques. Or, l’espace érotique apparaît comme un espace clivé, où l’individu se trouve (voire se perd) en s’échappant dans l’Autre, avec cependant des conséquences éthiques à céder sur son désir, notamment en terme de domination par l’Autre ou sociale par un discours ambiant de performance et de jouissance, l’injonction à la liberté sexuelle. L’objectification du corps de l’autre reste cependant inhérente à tout acte sexuel.

Il y a des actes qui seront toujours et dans tous les cas moralement condamnables dans l’humaine condition sexuelle et on peut consentir à un acte qui risque de nous causer du tort, nous faire du mal. Il y a des espaces où la morale et l’éthique sont défiées, comme par exemple dans la pornographie, la prostitution, le sadomasochisme, l’adultère.

Eliminer un facteur de domination, comme celui du genre, ne suffira pas à rendre la relation parfaitement éthique… L’éthique traite en effet du respect de l’autre, du rejet de ce qui pourrait lui être intolérable, du refus de le traiter en objet. L’enjeu est de parvenir à penser des normes valables pour tous, en préservant une authentique démocratie sexuelle.

D’où l’importance de faire attention aux besoins de l’autre partenaire, d’explorer les limites (potentiellement changeantes dans l’Histoire) du respect et de la dignité pour mieux évaluer la vie sexuelle de nos contemporains qui engage finalement notre citoyenneté. Il faut faire le deuil d’une égalité sexuelle parfaite et penser davantage l’intimité sur le mode de l’entente, de la décomplexion et de la joie. Une éducation sexuelle tenant compte de ses aspects, et non pas seulement du consentement, apparaît primordiale à soutenir.

 

 

Références pour approfondir :

Campagna N. Nature ou dignité : quel critère pour l’éthique sexuelle ? Revue d’éthique et de théologie morale, 261, 157-184, 2010.

Halwani R. Le consentement ne suffit pas à qualifier l’acte sexuel d’éthique. Philosophie magazine 151, 62-67, 2021.

Halwani R et al. The philosophy of sex : contemporary readings, 8nd Edition, Rowman & Littlefield Publishers, 2022.

Leguil C. Céder n’est pas consentir. Une approche clinique et politique du consentement, PUF, 2021.

Marzano M. Je consens, donc je suis… Ethique de l’autonomie. PUF, 2006.

Schumacher BN. Enjeux éthiques relatifs à la vie affective et sexuelle des personnes avec une déficience intellectuelle. Revue Suisse de Pédagogie Spécialisée, 13(3), 2-7, 2023.

Sexe et morale. Une nouvelle approche. Numéro spécial, Philosophie Magazine, 7, mars 2007.

 

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Publié par Sandrine Tinland

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