Highlight- La torture psychologique, de quoi s’agit-il?

Synthèse par Dr E. Escard.
La torture psychologique peut se voir dans différents contextes, différents pays, comme nous le rappelle encore une actualité brûlante. Son approfondissement peut être utile à une meilleure compréhension de ces violences graves par exemple dans le cadre d’établissements carcéraux, de persécutions politiques (ou pour d’autres motifs), de guerre ou de révolution, mais aussi dans un contexte plus local.
Les effets de la torture psychologique sont un sujet d’étude en psychiatrie en raison de leurs conséquences sévères sur la santé globale, notamment mentale. Des méthodes de torture psychologique ont été même conçues en collaboration avec des médecins et des psychologues, et peuvent être enseignées dans des formations avec des manuels et des protocoles utilisés par exemple par les agences de renseignement, la police ou l’armée ! La torture psychologique présente un double avantage, selon ceux qui la pratiquent : elle ne laisse pas de trace visible – rendant tout recours devant la justice encore plus difficile – et elle est perçue comme étant plus acceptable, à la fois par l’opinion publique, qui a tendance à considérer que ce n’est pas vraiment de la torture, et par les bourreaux qui vont utiliser des euphémismes pour la définir et la minimiser (techniques alternatives d’interrogatoire, mesures coercitives pour des raisons de sécurité…). La torture dite «propre» ou « blanche » a encore de beaux jours devant elle…
Il existe aujourd’hui une définition universellement acceptée de la torture, à savoir celle qui figure dans la Convention des Nations Unies de 1984 contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Selon ce texte, on entend par torture tout acte qui consiste pour un agent de la fonction publique à infliger intentionnellement « une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales » à une personne dans un but précis. La Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture donne une définition plus large de la torture : pour être qualifié de « torture », un acte n’a pas besoin de causer une douleur ou des souffrances aiguës. En droit international humanitaire (DIH), la torture n’est pas nécessairement infligée par un agent de la fonction publique ou avec son consentement, mais peut être perpétrée par toute personne. La torture est totalement prohibée, comme d’ailleurs les traitements inhumains et dégradants, pour la Cour européenne des droits de l’homme et le droit humanitaire international.
La torture psychologique comprend des méthodes « non physiques ». Alors que les « méthodes physiques » directes de torture peuvent être plus ou moins évidentes, les méthodes « non physiques » ne blessent pas physiquement, ne mutilent pas ou ne touchent même pas le corps mais atteignent l’esprit, l’appartenance, les symboles et les possessions.
Parmi les méthodes non physiques manifestement assimilables à des actes de torture figurent :
-les négligences et privations, par exemple de sommeil et sensorielle, l’isolement cellulaire, le port forcé d’un bandeau,
-l’excès de stimulation sensorielle (bruit, lumière, chaud, froid, odeurs, obliger à manger des excréments ou des cadavres ou boire leur urine…),
-le recours aux positions de stress, par exemple la station debout prolongée,
-les interrogatoires répétés,
-le fait de devoir assister à la torture de membres de la famille, y compris des viols et des simulacres d’exécution,
-la peur et les humiliations graves (p.ex. nudité forcée, simulation d’actes sexuels, atteinte aux croyances et à la culture comme par le rasage forcé ou la profanation, menaces d’exécution, harcèlement, intimidations avec des animaux dangereux),
-la manipulation pharmacologique,
-la rééducation forcée, avec restructuration de la personnalité en vue de la rendre conforme aux exigences de l’idéologie officielle.
La torture psychologique existe aussi sur des personnes en liberté, avec par exemple du harcèlement policier avec violations de domicile, menaces d’expropriation, diffamation dans le voisinage, surveillance permanente…
Le terme de syndrome DDD décrit de longue date est utilisé pour décrire leur but essentiel (debility, dependency and dread). L’objectif est que les victimes cèdent sous la douleur et soient amenées à coopérer sans condition, être totalement soumises et dépendantes. Être plongé dans l’inconnu de ce qui va arriver chaque jour est bien sûr responsable d’une angoisse permanente des victimes.
En Suisse, le terme de torture psychologique ou morale peut être utilisé pour décrire des violences psychologiques graves dans différents contextes, comme les violences domestiques, les prises d’otage, les enlèvements, l’embrigadement sectaire, militaire ou sportif… Au niveau pénal, il n’existe pas d’article unique pour la réprimer (y compris d’ailleurs pour les tortures physiques!) et certains faits peuvent même ne pas être poursuivis ou très difficilement (p.ex la privation de sommeil).
Nous avons défini dans notre glossaire des violences psychologiques (accessible sur le blog) certains termes qui sont utilisés pour préciser les différents mécanismes utilisés, classés dans la typologie violences psychologiques graves ou emprise ou corruption. On peut citer par exemple le lavage de cerveau, la vampirisation, le phagocytage, l’asservissement, l’assujettissement, l’abattement, l’aliénation, la martyrisation, la déshumanisation, l’enfermement, la brutalité, le sadisme, la tyrannisation, la cruauté et le terrorisme mental, le lynchage, l’appropriation et la dépossession, le bannissement, la vulnérabilisation, la captation, la corruption et la perversion, le viol psychologique et le contrôle coercitif, l’incitation répétée au suicide etc. Les tortures psychologiques peuvent être également à visée sexuelle ou économique, en utilisant de multiples moyens de soumission (ordre, chantage, menace, culpabilisation, dénigrement, contrôle, cyberharcèlement, diffamation, désinformation, mensonge…).
La torture psychologique peut provoquer des préjudices permanents y compris au niveau physique et psychosomatique, et même si de nombreuses techniques ne laissent pas nécessairement de marque physique, toutes les méthodes sont susceptibles d’avoir des conséquences durables et dévastatrices. Elle peut amener à une modification durable de la personnalité dans le cas d’un état de stress post-traumatique complexe, d’autres troubles psychiques sévères comme par exemple des troubles dissociatifs ou paranoïaques, de graves troubles anxieux et de l’humeur, avec des troubles cognitifs et relationnels majeurs, des addictions. Les conséquences sont encore plus graves pour les personnes déjà vulnérables au préalable, et les enfants.
L’investigation des tortures psychologiques par les thérapeutes demande du temps (parfois plusieurs mois voire plus), les victimes devant se sentir en sécurité et en confiance pour en parler et éventuellement les détailler. Cela demande aussi que les victimes comprennent les raisons d’en parler, que le thérapeute soit investi pour veiller à leur état de santé, à leur défense dans les procédures (par exemple en les rapportant dans des constats détaillés) et au rétablissement de leur dignité.
Références :
Collectif. Kubark : le manuel secret de manipulation mentale et de torture psychologique de la CIA. Ed. Zones, 2012.
De Linares E. Fear up, ego down. La torture psychologique. Un monde tortionnaire. Rapport ACAT, 2014.
El-Khoury J, Haidar R et Barkil-Oteo A . Psychological torture: characteristics and impact on mental health. The International Journal of Social Psychiatry, 2020, 67(5), DOI 10.1177/0020764020961800
Sironi F. Bourreaux et victimes. Psychologie de la torture. Odile Jacob, 1999.
https://www.amnesty.be/campagne/stop-torture/torture/article/methodes-torture; https://www.torturevictims.ch/fr/torture-fuite-et-traumatisme/torture/