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L’obligation de signalement des enfants exposés aux violences conjugales par les professionnels et professionnelles de la santé

Auteurs : Dr E. Escard, Dre D. Cerreti, Dre C. Grépinet-Ayewubo

Les violences conjugales impactent la santé des parents et leur parentalité à de nombreux niveaux. Les études scientifiques depuis une vingtaine d’années concordent pour considérer les mineurs exposés aux violences conjugales non plus comme de simples témoins directs ou indirects des violences mais comme des victimes d’une maltraitance à part entière, avec des conséquences nombreuses sur leur santé globale, et ce d’autant plus que l’enfant est petit.

L’exposition précoce à la violence, qui constitue un traumatisme relationnel passif, a un impact sur le développement architectural du cerveau ainsi que sur la production des hormones régulant le stress avec une altération de la capacité à gérer ce dernier. Ceci peut être source pour l’enfant de conséquences physiques, psychosomatiques et psychiques, par exemple de troubles anxieux, dépressifs, post-traumatiques complexes. De graves séquelles peuvent en découler, constituant aussi un important problème de médecine sociale et de santé publique.

Le risque commence dès la grossesse et existe tout au long de la période de développement psychique, affectif et neurobiologique de l’enfant.  Les adolescents peuvent être aussi très affectés, pris dans des conflits de loyauté, une instrumentalisation voire une emprise parentale. La séparation ne met pas les enfants à l’abri. Les enfants d’une autre union qui viennent de temps en temps dans le foyer domestique de leur autre parent sont aussi concernés, de même que tout autre mineur habitant avec le couple violent ou venant très régulièrement à leur domicile (petit-enfant, neveu, cousin, voisin, copain, enfant gardé, etc.). 

Des études menées par le CURML (Centre Universitaire Romand de Médecine Légale) à Lausanne viennent confirmer ces données localement. Les agressions conjugales semblent très majoritairement se passer en présence des enfants (72% des cas), avec la présence d’un contrôle coercitif de l’auteur, une implication diversifiée des enfants, et des professionnels et professionnelles de l’enfance très peu au courant des violences conjugales (env. 16% des pédiatres). Le parent victime (la mère le plus souvent) se retrouve aussi fréquemment l’unique responsable du bien-être des enfants avec des décisions trop difficiles à prendre seule (plainte, séparation, reprise d’un travail…?) ce qui peut lui être reproché en cas d’inaction. Les institutions peuvent aussi donner des conseils ou ordonner des mesures qui ne vont pas dans le bon sens (p.ex. faire de la médiation ou décision de garde alternée dans une relation d’emprise, obligations de visite trop précoces, inégalité des devoirs etc.).

Ces constatations incitent grandement à améliorer la détection des cas, à y mettre les moyens ainsi qu’un dispositif thérapeutique et de protection large pour diminuer voire faire cesser les violences conjugales. La protection des enfants est l’affaire de toutes et tous. En première ligne figurent les parents et la famille élargie, puis les professionnels et professionnelles (école, médecins, thérapeutes, réseau associatif, etc.).   

La Convention d‘Istanbul de lutte contre la violence domestique envers les femmes et enfants oblige la Suisse depuis 2019 à renforcer le dispositif de signalement des situations à risque par les professionnels et professionnelles. Ceci est demandé également par le Bureau fédéral de l’égalité et les Bureaux cantonaux de promotion de l’égalité et de prévention des violences.

La loi cantonale genevoise (art. 34 al.2 LaCC) oblige les professionnels et professionnelles de santé à signaler au Service de protection des mineurs (SPMi) les enfants en danger dans leur développement, allant plus loin que la loi fédérale (art. 314c CC) qui les incite seulement à le faire au Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (TPAE) en cas d’atteinte à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle de l’enfant.

Cela ne concerne pas que des entités très spécialisées de lutte contre les violences domestiques, comme le GPE (Groupe de protection de l’enfance) ou l’UIMPV (Unité interdisciplinaire de médecine et prévention de la violence) aux HUG, mais aussi en particulier les pédiatres, pédopsychiatres, les professionnels et les professionnelles qui prennent soin des parents victimes et/ou auteurs de ces violences. Sont fréquemment impliqués les médecins de famille, les médecins urgentistes, les psychiatres, les gynécologues et sages-femmes, les psychologues ou infirmières scolaires, les physiothérapeutes, etc.

Dans le cadre d’un suivi spécifique qui débute avec un parent victime et/ou auteur de violences conjugales ou d’une révélation de violences conjugales lors de la prise en charge d’un patient ou d’une patiente pour une autre raison médicale, certains critères doivent amener les professionnels et les professionnelles à procéder à un signalement des enfants exposés dans un délai bref, notamment en se référant à des redflags et à des documents validés d’évaluation des dangers, avec la recherche de la :

  • présence de critères de danger avéré d’exposition aux violences avec des violences conjugales chroniques, une relation asymétrique, un auteur et une victime vulnérables, une coparentalité impossible ;
  • présence de critères de risque de danger d’exposition quand il y a un recours occasionnel à des violences conjugales « mineures », avec des conflits non résolus ; dans ce cas la présence d’un autre danger (p. ex violences psychologiques directes sur l’enfant, altération avérée du développement de l’enfant, parentalité partielle et ambivalence par rapport à l’aide, graves problèmes socio-économiques) oblige à signaler la situation.

L’urgence du signalement pourra être tempérée par le fait que les enfants sont bien suivis par le réseau avec des échanges à ce sujet, et que les parents font des démarches constructives et authentiques pour diminuer les violences conjugales. A noter que le soutien du couple parental seul ne suffit pas pour traiter les violences conjugales, de même qu’une thérapie individuelle et/ou de couple non investie.

Le signalement n’est pas nécessaire si les professionnels et les professionnelles sont déjà en mesure de protéger les enfants des violences auxquelles ils assistent. Un signalement peut concerner des faits nouveaux dans une situation déjà connue par le SPMi, ou des faits très récents connus par le SPMi par d’autres biais (p. ex. suite à un signalement par la police qui est intervenue à domicile) avec l’intérêt d’une documentation médicale complémentaire et d’échanges qui seront utiles pour l’enquête socio-éducative, voire au niveau de la justice pénale et civile. Dans tous les cas, il faut s’interroger sur la proportionnalité et la subsidiarité de la réponse par un signalement. Les professionnels et les professionnelles de la santé doivent mettre en balance les intérêts en présence, et notamment apprécier s’il vaut la peine d’enfreindre la relation de confiance avec le ou les parents au nom du bien de l’enfant concerné, voire d’autres enfants à protéger de cette même menace.

Le signalement au SPMi nécessite l’accord d’un des deux parents (sinon il faut solliciter la Commission du secret professionnel à Genève pour être levé du secret). Pour le TPAE il n’y a pas besoin de levée du secret du moment que nous avons suffisamment d’éléments laissant penser que l’intégrité des enfants est menacée ; le contenu du signalement ne doit porter alors que sur le danger suspecté pour les enfants concernés (pas de renseignements sur le ou les parent-s).

 Le SPMI va évaluer la situation lors de différentes étapes (avec les parents, enfants, le réseau…) et va agir dans l’intérêt supérieur des enfants sous forme d’interventions socio-éducatives, au départ sans mandat pour des conseils ou un accompagnement, puis éventuellement avec un mandat judiciaire (curatelle, tutelle….).

En cas de doute sur la pertinence ou non de signaler, chaque professionnel peut contacter la permanence du SPMi (ou du service équivalent dans le canton de résidence du parent ou en France voisine) ou les services spécialisés pour les violences domestiques (ex. aux HUG : GPE au 022 3723149, UIMPV au 022 3729641).

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Publié par Sandrine Tinland

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