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Les violences agies, une défaillance de la conscience morale ? Oui, le mal n’a rien de banal…

Auteur : Dr E. ESCARD

L’actualité véhicule quotidiennement tout un lot de décisions cruelles et sanglantes jouées en divers points du globe. Le mal fait problème, il est le scandale du monde. Il nous confronte au choc moral actuel de l’humanité, des « civilisé-e-s » contre celles/ceux qui acceptent de blesser, tuer les êtres humains, et de manière plus générale les êtres vivants et l’environnement, quels que soient leurs motifs.

 La banalité du mal désignait pour Hannah Arendt ce grand écart entre l’énormité de crimes et la médiocrité de ses auteurs, sous pression d’une bureaucratie de masse. Des gens ordinaires transformés en violeurs ou tueurs en série ?

Isabelle Delpla, philosophe, y voit une mystification, faisant obstacle à la réflexion. Comme si ces criminels étaient des hommes ordinaires, n’obéissant qu’aux ordres, victimes du système, mobilisés par aucune intention maligne et agissant sans penser à mal. Alors que dans tous les massacres, les historiens savent bien qu’il y a des tortionnaires fort inventifs et enthousiastes…

La cause à défendre était celle de la pensée comme source du bien. « Si Eichmann ne pense pas, alors la pensée est sauve ». Or les génocidaires savaient ce qu’ils faisaient et étaient organisés avec un fanatisme assumé.

Le mal ne surgit pas du néant de la pensée, c’est un produit dont les « médiations » sont connues (discours politiques, religieux, communautaires, familiaux, etc.).

Le mal relèverait-il de la catégorie de l’indicible ou de l’innommable ? Son expérience semble toujours excéder les mots dont nous disposons pour en rendre compte. Il faut reconnaître que la raison n’a pas toujours de réponse ou de solution à proposer quant au sens du mal.

L’OMS dit que les professionnel-le-s de santé doivent lutter contre les facteurs culturels, sociaux et économiques qui favorisent les violences et leur lot de souffrances. Les médecins doivent donc affronter cette question du mal et de la destruction, de la défense de l’humain, sans résignation ni justification même partielle (d’un mal qui serait vertueux ou utilitariste), et en dénonçant ce procédé qui est alimenté par les mensonges. Les discours de la survictimisation, médiation ou prévention sont de nouvelles formes de discours sur le mal, et il faut se méfier qu’ils n’aient pas pour but de le contourner, de refuser de le regarder en face.  Dans certains cas, parler de révoltés plutôt que de délinquants, de malades plutôt que de criminels, d’opérations pacificatrices plutôt que de guerre punitive en fait partie. Denis Salas parle de « dérive gestionnaire du mal », qui consiste à considérer la violence comme un « risque comme un autre », dont il s’agit de réduire la probabilité d’occurrence… A méditer en ces temps troublés où certain-e-s sont fatalistes ou complices de la terreur du mal en fonction de qui le commet et surtout de son pouvoir de nuisance ou de récompense. Sans oublier que certaines mesures dites contre le mal peuvent augmenter les violences (livraisons d’armes, blocus économique, exclusion politique…) ce qui complexifie cet imbroglio diabolique.

Comme disait Simone Weil, le mal est nous-mêmes dès que nous cessons de lui résister. Mais ne faudrait-il pas défendre les exigences de la morale avant l’amour de soi et notre propre bonheur ? Une logique de l’espérance doit en tout cas reposer sur le fait que parce que le mal n’est pas nécessaire, on peut lutter contre lui…

Bibliographie :

  • CRIGNON C. Le mal. Corpus. GF Flammarion, 2000.
  • DELPLA I. Le mal en procès. Eichmann et les théodicées modernes. Paris, Hermann, 2011.
  • COMTE-SPONVILLE. Un mot, des maux… Philosophie magazine, Hors-Série 37, 2018:12-15

 

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Publié par Sandrine Tinland

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