L’empathie politiquement correcte : une forme de violence psychologique par inauthenticité ?
Auteur : Dr Emmanuel Escard
Une équipe de psychologues de l’Université de Liège, Belgique, s’est intéressée aux apports, limites et paradoxes de l’empathie dans le travail clinique, notamment dans leur expérience du traitement des délinquants sexuels.
Dans le travail clinique, l’empathie est un concept à la fois complexe et précis, à distinguer par exemple de la sympathie et de l’identification. A l’empathie intuitive et inconsciente plus ou moins présente en fonction des personnes, se distingue une empathie volontaire, réfléchie, qui peut être apprise par le clinicien pour entrer en relation avec les patients, et tenter de les comprendre et de nouer une alliance thérapeutique avec eux. Cela peut d’ailleurs paraître paradoxal, comme lorsque l’on recommande à quelqu’un d’être naturel, spontané…
L’empathie relève de la reconnaissance bienveillante de l’altérité, alors que la sympathie est une étape de l’affection témoignée à l’autre et que l’identification consiste soit à rendre l’autre identique à soi, soit à se rendre identique à l’autre.
L’empathie ne requiert pas que l’on ressente ce que l’autre ressent ni d’être touché émotionnellement. Elle nécessite un certain effacement du moi du professionnel, pour pouvoir se consacrer à la découverte de l’altérité de l’autre.
Un professionnel peut se donner bonne conscience en réalisant ce qu’il croit bon pour le patient, sans tenir compte de son individualité, de ses spécificités et attentes. Il s’agit alors d’une pseudo-empathie, irrespectueuse du sujet. On peut d’ailleurs la voir chez certains vendeurs, psychopathes et pervers…
L’empathie implique donc de reconnaître notre ignorance de ce que pense, ressent, désire l’autre, terre inconnue à laquelle nous devons porter notre attention avec humilité, sans jamais vraiment pouvoir l’atteindre. Il faut donc faire attention à ne pas interpréter de manière hasardeuse, trop imaginative les signes présentés, sinon il y a un risque d’abus de pouvoir, voire d’emprise et de « bienfaisance » contraignante.
L’empathie doit bien sûr ne pas s’appliquer qu’aux « bons » patients ou aux personnes victimes, mais aussi par exemple au traitement des auteurs de violence. D’autre part il faut réaliser les problèmes que soulève l’opérationnalisation de l’apprentissage de l’empathie chez certains délinquants, avec le risque qu’il ne s‘agisse que de discours appris. L’expérience de l’inauthenticité existe aussi bien chez certains délinquants que chez certains professionnels, et laisse le sentiment pénible aux victimes et témoins d’avoir été manipulés…
Référence : Extraits de L'empathie ou le politiquement correct, Christian Mormont. CIFAS (Congrès international francophone sur l'agression sexuelle) Montpellier, 13 juin 2019