Les hommes victimes de violences conjugales : qui sont-ils et comment les prendre en charge ?
Auteure : Sophie del Duca avec le soutien du Dr Emmanuel Escard et de l’équipe de l’UIMPV
Des recherches doctorales ayant pour objet les hommes victimes de violences conjugales sont actuellement menées par la psychologue clinicienne Sophie Del Duca, en partenariat avec le laboratoire EA 4050 « Recherches en psychopathologie : nouveaux symptômes et lien social » de l’Université de Rennes-II en France. Cette thèse, sous la direction du Pr. Abelhauser, a pour intitulé : “Les hommes victimes de maltraitance. Quand les discours s’emparent des corps et confisquent la parole. Enjeux cliniques, stratégiques, éthiques et politiques d’un autre mode de violence conjugale”. Dans ce cadre, la chercheuse, qui collabore également avec l’Institut Pharos à Genève, a effectué un stage d’observation à l’UIMPV en août 2019 en tant que collaboratrice scientifique.
En effet, des études préliminaires ont démontré la nécessité de s’interroger sur ce mode spécifique de violence conjugale. Aussi, selon l’Observatoire National de la Délinquance, 280.000 hommes environ auraient souffert de violence domestique en France durant l’année 2010 (Poulbere, 2010). Une étude rétrospective qui s’étend sur trois ans, publiée en 2011 par Carmo et al., relève un pourcentage de 11,5% d’hommes victimes dont la distribution ne cesse d’augmenter au fil des années. Une autre étude, produite en 2015 par Thureau et al., atteste de chiffres à peu près semblables avec 13% d’hommes victimes de maltraitance sur l’année 2012. Entre 2005 et 2014, les certificats médico-légaux examinés par Lechevalier (2016) à l’UMJ du CHU de Toulouse attestent de 7,3% de consultations de ce type. Entre 2006 et 2012, le CHUV de Lausanne retient 12,5% d’hommes victimes dans les dossiers de violence de couple (Romain-Glassey et al., 2016). A l’UIMPV en 2018, les hommes sont victimes dans 8% des situations reçues pour ce motif (>18 ans), chiffres inférieurs à ceux de l’Observatoire cantonal genevois des violences domestiques (12%).
Les actuels travaux doctoraux viennent interroger plusieurs aspects, notamment : est-ce que les cas d’hommes victimes de violence domestique constituent une population homogène, constante dans le temps ? Peut-on isoler des invariants en matière de logiques structurales et de fonctionnements intersubjectifs pour ces sujets ? Est-ce que la mise en lumière de la maltraitance faite aux hommes fait figure de nouveau symptôme au sein de notre société ? Est-ce que les militantismes à cet endroit impactent les idéaux des dispositifs de soins ? Dans quelle mesure l’effet de ces discours contribuent à créer un nouveau réel clinique ?
À l’instar des études existantes, les objectifs sont d’identifier et caractériser la nature des violences domestiques subies par les hommes, les contextes et modes d’apparition, mais aussi les conséquences intrapsychiques et sociales ; recueillir des informations quant à l’implication d’enfants mineurs dans ces dyades conjugales violentes pour envisager un soutien à la création, ou a minima, à la collaboration avec des foyers d’hébergement existants ; opérer enfin une réflexion critique visant à éclairer les enjeux stratégiques, cliniques et politiques pour les acteurs de terrain qui oeuvrent notamment dans le champ des violences faites aux hommes en vue d’améliorer les campagnes de sensibilisation.
L’exploration faite à l’UIMPV fondée sur notre expérience de ces situations a permis d’isoler une conjonction de facteurs déclenchants, parmi lesquels :
Sur le plan conjugal :
Des différences culturelles et socio-économiques entre les partenaires ;
Une différence d’âge parfois significative ;
Une dissymétrie dans la répartition du pouvoir au sein du couple ;
Des discordances en termes de valeurs, de priorités, de lecture du contexte environnemental ;
Des partenaires fusionnels, co-dépendants, aux prises avec une certaine insécurité affective et des assises narcissiques fragiles, en quête de reconnaissance, peu tolérants face à ce qui marque l’altérité, la différence ;
Des antécédents de violence dans le passé d’un ou des deux partenaires ;
Des troubles mentaux avérés qui touchent le champ de la psychopathologie ;
Une violence plus largement psychologique, et parfois physique, qui se déplie de manière cyclique, avec une intensité variable, mais continue.
Au niveau des auteur(e)s :
Une quête d’obtenir un statut, une reconnaissance d’une place privilégiée, une légalisation de la relation : être l’unique objet d’amour de l’autre ;
Un besoin de validation de la part du partenaire dans la manière singulière dont va s’inscrire l’identité genrée ;
Un état de défiance, de méfiance et d’anxiété permanent ;
Des comportements de forte jalousie et des suspicions d’infidélité, donc renforcement du contrôle exercé sur le partenaire ;
Un comportement colérique, impulsif avec des crises clastiques ;
Des périodes d’asexualité ou d’hypersexualité avec parfois des rapports forcés ;
Une violence psychologique systématique, basée sur des dévalorisations progressives ;
De fausses allégations ;
Des chantages au suicide ;
Privation de la garde voire rapt des enfants ;
Des scènes de simulation d’une pseudo-violence subie ;
Une prise de tiers à témoin ;
Un investissement fort du langage qui justifie autant à l’écrit qu’à l’oral la violence.
Au niveau des victimes :
Un isolement progressif ;
Une coupure des affects, difficultés à extérioriser les sentiments, parfois déni et/ou crainte de la non-reconnaissance de leur vécu par la société ;
Une banalisation de la violence subie pour ces hommes par les intervenants sociaux ;
Une logique froide de préméditation des preuves à collecter en vue de se prémunir du danger, agissent rarement de manière frontale, mais de manière quasiment toujours détournée ;
Un besoin de contrôle de l’environnement qui semble menaçant (rituels, manies, etc.) ;
Des symptômes de dépression, d’asthénie, de perte de confiance en soi ;
Une crainte de l’intimité, avec parfois une phobie du couple ;
Une défaillance dans le rapport à la figure paternelle (un manque de référence, d’appui symbolique et/ou une idéalisation marquée) ;
Un comportement workaholic, avec parfois de forts risques d’effondrement professionnel ;
Des inquiétudes quant à leur réputation, leur honneur dans le cadre professionnel. Atteintes récurrentes portées à leur encontre à cet endroit ;
Une incapacité à rompre par crainte de l’abandon ;
Une idéalisation du partenaire, malgré la violence ;
Des douleurs somatiques lourdes et automédication ;
Des enfants qui présentent un comportement ambivalent vis-à-vis du parent battu, alternent entre agressivité et loyauté ;
Pistes à suivre
Il ne s’agit là que de quelques pistes qui seront possiblement amenées à évoluer. Dans ces situations cliniques, nous sommes souvent confrontés à des violences bilatérales, souvent insidieuses, où il est difficile de discriminer la dissymétrie et la domination de l’un des partenaires sur l’autre. Nous nous interrogeons sur le fait qu’il s’agit parfois d’hommes issus de classes sociales supérieures, ce qui peut surprendre. Nous sommes également interpellés par le fait qu’il s’agit parfois d’hommes qui se dérobent, voire refusent de s’inscrire dans le modèle patriarcal. Or, ils semblent précisément attaqués par le fait qu’ils ne représentent pas ou plus une valeur économique assez forte, restent trop passifs voire manquent d’ambition. Enfin, il nous reste à distinguer plus précisément ce qui relève d’une dynamique propre à la violence conjugale des éventuels traits spécifiques à la population d’hommes que nous étudions.
Mots-clés : homme, victime, violence conjugale, genre, pouvoir