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Parentalité en souffrance : conséquences des violences intrafamiliales sur le développement des enfants et sur la santé des liens familiaux

Auteur : Floriano von Arx, psychologue-psychothérapeute

Il est désormais admis que les violences intrafamiliales constituent un facteur de risque important au regard de la santé de chaque membre de la famille et des relations privilégiées. Les personnes subissant des violences présentent généralement des risques d’atteinte à la santé physique (syndrome douloureux chronique, abus de substances ou de médicaments), sociale (stigmatisation, isolement, conflit familial, difficultés au travail) et psychique (état de stress post-traumatique (ESPT), dépression, anxiété) à court, moyen et long terme, plus important que la population générale (OMS, 2002). Il est aussi documenté que les personnes ayant recours à la violence agie peuvent présenter des morbidités somatiques et psychiques accrues ainsi que des difficultés sur le plan social (Halpérin, Bron, 2007). L’ensemble de ces facteurs interdépendants peuvent ainsi favoriser la répétition d’interactions relationnelles violentes et la survenue d’agressions au sein des familles.

Dans ces situations, les enfants peuvent être directement exposés à des formes de maltraitances (abus physiques, réprimandes violentes, éducation basée sur la peur et la menace, débordements violents parentaux, humiliations, jusqu’aux actes d’agression sexuelle). Aussi, il est important de rappeler que les maltraitances, dans leurs différents degrés, ne se déclinent pas uniquement dans le registre de l’abus et de l’excès, mais aussi sur le versant négatif de la négligence (négligence matérielle, de protection, affective).

Au sein d’une famille, voire auprès de futurs parents attendant un enfant, ces facteurs sont d’autant plus problématiques qu’ils constituent un obstacle au bon développement des enfants. Les effets des violences sur la santé familiale ainsi que les aspects psychopathologiques souvent associés aux personnes – et à leurs relations – impliqués dans ces phénomènes, peuvent avoir un impact négatif important en termes de désorganisation de la parentalité et des liens familiaux.

Autrement dit, la violence intrafamiliale, selon sa forme d’expression, sa gravité et sa fréquence, peut ébranler le soubassement nécessaire à un accueil « suffisamment bon » du nouveau-né et à sa croissance.

Qu’entend-t-on là par « accueil suffisamment bon » ? En plus des besoins fondamentaux physiologiques et somatiques dont tout un chacun nécessite pour assurer sa survie et son évolution organique (soins primaires), le développement équilibré d’un enfant n’est possible que si ce dernier est également en mesure d’acquérir une sécurité psychique de base, à savoir qu’il puisse faire l’expérience répétée d’un attachement sécurisant aux adultes s’occupant de lui dans un environnement protecteur. En référence notamment aux travaux du Dr. Maurice Berger, pédopsychiatre, l’ensemble des processus psychiques permettant une construction identitaire de l’enfant (estime de soi, contrôle émotionnel, aptitudes pro-sociales) dépendent fortement de cette possibilité qu’à l’enfant d’acquérir une sécurité, sans que des formes d’inquiétude et d’angoisse viennent infiltrer l’organisation de son développement.

La sécurité affective de l’enfant s’étaye donc sur celle offerte par son environnement proximal. Tout parent – par parent on entend le/les adulte(s) en mesure de se préoccuper et d’être disponible(s) pour un enfant -, est donc appelé à offrir sensibilité aux messages de l’enfant, capacité à apaiser ses états émotionnels négatifs, proximité et accessibilité, prévisibilité, stabilité et engagement dans la durée (Berger, 2016).

Il est donc fondamental que les parents soient en mesure d’accéder au registre empathique et soignant en eux, qu’ils acceptent que les besoins des enfants passent désormais avant les leurs et qu’ils aient une disponibilité psychique à faire une place à leur enfant et à son parcours d’autonomisation progressive en tant que sujet – de droit -. Ces éléments sont d’autant plus indispensables que l’enfant est en bas âge, et donc dans une condition de dépendance absolue de son environnement.

Dès la période de la grossesse déjà, les futures mères et pères ont à effectuer un important travail psychique (conscient et inconscient) de préparation à l’arrivée du nouveau-né ; ce travail peut être alors perturbé par les facteurs de stress induits par une situation de violences et par le registre psychopathologique pouvant y être apparenté.

A titre d’exemple, une mère venant d’accoucher, ou avec des enfants en bas âge, devant se préoccuper de la mise en place des mesures de protection, étant soumise à un stress majeur suite à des violences ou des menaces de la part de son conjoint, risque d’être dans une souffrance sociale, physique et psychologique telle qu’elle ne soit plus entièrement disponible pour son ou ses enfants.

Des études étayées (Scheckter et al., 2015) ont mis en lumière la corrélation sur le plan neurobiologique et comportemental de l’impact du stress maternel lié à l’exposition à des violences interpersonnelles sur l’ajustement relationnel à leur enfant ainsi que l’augmentation du risque de manifestations psychopathologiques précoce chez ces derniers.

Pour qu’il y ait sécurité pour les enfants donc, il est primordial que l’environnement familial soit entouré de conditions de sécurité suffisantes.

Au long cours, une situation chronique de violence intrafamiliale, selon sa gravité et l’absence plus ou moins marquée de facteur de protection, peut également impacter de manière significative et pathologique le développement des enfants dans tous ses registres. Les enfants peuvent aussi, par les complexes mécanismes d’identification et apprentissage, intégrer un modèle de résolution des conflits interpersonnels par le recours à la violence. Des évidences scientifiques, notamment par les recherches en neurobiologie et neuropsychologie, ont récemment mis en lumière certains déficits en termes de morphologie, fonctionnement et connectivité des structures cérébrales impliqués dans l’organisation sensorielle et la régulation émotionnelle, chez des enfants exposés à des maltraitances et des négligences (Teicher, 2016), corroborant ainsi les connaissances acquises en termes des manifestations psychopathologiques que des enfants exposés à la violences peuvent rencontrer (troubles de l’humeur, trouble de la régulation émotionnelle, troubles comportementaux, impulsivité, troubles de l’attachement,…). Ces connaissances font également écho aux modélisations théoriques issues de la psychothérapie familiale psychanalytique et systémique concernant les mécanismes complexes de transmission inter et surtout transgénérationnels des traumatismes et les mécanismes de défenses associés.

D’un point de vue clinique et éthique, il est donc indispensable que les intervenants psycho-sociaux ainsi que du domaine juridique en contact avec des familles présentant des problématiques d’interactions violentes tiennent compte de ces éléments. Dans ce sens, la précocité de la détection des violences intrafamiliale est un élément principal, ainsi que la réponse des intervenants devrait être bien orientée, offrant des solutions garantissant en premier lieu la sécurité des parents et des enfants victimes. Après des interventions en mesure d’instaurer un cadre de sécurité et la reconnaissance de leur nécessité, il est aussi important de proposer un appui thérapeutique et éducatif en mesure d’accompagner tout parent (qu’il soit auteur ou victime, ou les deux) et tout enfant le nécessitant, à établir ou rétablir les meilleures conditions possible au développement des enfants et des liens de parenté.

L’accompagnement thérapeutique, éducatif et parfois judiciaire doit pouvoir aider à développer des compétences parentales dans les limites des capacités de chacun, au plus près de la réalité de chaque individu (de son histoire, sa culture d’origine, ses conditions socio-économiques, …), l’intérêt supérieur de l’enfant devant servir comme une boussole d’orientation.

Cela dit et pour conclure, deux points d’attention nous semblent importants à relever. D’abord, la rencontre professionnelle avec les familles convoque chez les intervenants des registres psychiques complexes interrogeant la « vision éthique du monde » de chacun au regard de ce qu’est la parentalité, l’éducation, la famille, l’enfance, etc. Il est donc primordial pour chaque intervenant de développer une sensibilité, et parfois une vigilance, aux modèles internes et aux idéaux soutenant sa propre activité professionnelle, afin d’éviter que les projections, les désirs inconscients de réparation, les craintes excessives ou tout autre éléments historique personnel ne parasite  – démesurément – le soin singulier d’un groupe familial. Enfin, il convient de demeurer critique quant à la notion sociale de « compétences », notion clé des politiques éducatives actuelles (compétences émotionnelles, sociales, relationnelles, de soi, …). En effet, si sur un plan la notion de « compétence parentale » promeut l’ouverture vers un parcours de qualification d’aptitudes et de savoir-faire/être positifs, sur un autre plan elle encourage un savoir au risque de dérive de standardisation et normalisation sociétale (Sellenet, 2009).

Bibliographie
- Berger, M (2016). Besoins fondamentaux de l'enfant, audition à la DGSC (www.mauriceberger.net)
- Halpérin D., Bron G. (2007). Médecine et violence : Un profil de santé comparé entre victimes, agresseurs et victimes-agresseurs.
  Revue francophone du stress et du trauma, vol.7, no 2, pp. 97-105
- Margairaz C., Girard J., Halpérin D. (2006). Violences au sein du couple et de la famille, Implication pour le praticien. Forum Med Suisse (6)
  OMS (2002). Rapport Mondial sur la violence et la santé
- Schechter D.S., Moser D.A., Paolini-Giacobino A., Stenz L., Gex-Fabry M., Aue T., Adouan W., Cordero M.I., Suardi F., Sancho Rossignol A.,
- Merminod G., Ansermet F., Dayer A.G., and Rusconi Serpa S. (2015). Methylation of NR3C1 is related to maternal PTSD, parenting stress and maternal 
  medial prefontal cortical activity in response ton child separation among mothers with histories of violence exposure. Front.Psychol. 6:690
  doi:10.3389/fpsyg.2015.00690.
- Sellenet C. (2009). Approche critique de al anotion de "compétences parentales". La revue internationale de l'éducation familiale, 
  26(2), 95-116. doi:10.3917/rief.026.0095
- Teicher M.H., Samson J.A. (2016). Annual Research Review: Enduring neurobiological: effects of childhood abuse and neglect. Journal of Child
  psychology and Psychiatry 57:3 (2016), pp 241-266. doi: 10.1111/jcpp.12507

 

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Publié par Sandrine Tinland

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