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Les violences sexuelles en milieu sportif : un record caché?

Sandrine Tinland on 19 septembre 2025 | 0 Commentaire

Synthèse par E. Escard.

Une enquête récente en Suisse romande a retrouvé qu’un tiers environ des jeunes sportifs ont été victimes de violences sexuelles (20% des hommes et 43% des femmes), 52% des auteurs étant les coéquipiers (Hauw D et al, 2024). Les violences psychologiques quant à elles sont quasi systématiques (9/10) et un tiers des sportifs ont déclaré avoir vécu des violences physiques. Les violences par les spectateurs restent très rares. Les chiffres semblent similaires dans les études anglo-saxonnes faites sur les athlètes en compétition et il est observé que les athlètes issus de minorités ethniques ou sexuelles sont plus à risque pour les différents types de violences. Les femmes sont plus victimes de violences psychologiques et sexuelles, surtout à un niveau international. Plus le niveau de compétition augmente, plus les entraîneurs sont désignés comme les auteurs de violences, ce qui paraît logique vu le plus de temps passé à l’entraînement. Ses résultats qui montrent l’ampleur du fléau ne semblent pas s’améliorer par rapport à des études plus anciennes, au contraire, alors que Swiss Olympic et l’Office fédéral du sport ont rédigé un programme de prévention des abus sexuels dans le sport envers les enfants et les adolescents en 2004 ! Le sujet avait été précédemment ignoré des instances sportives, soit par crainte d’un préjudice de réputation, soit par ignorance et collusion.

Pour la première fois dans le monde francophone, un ouvrage collectif publié en 2024 chez Elsevier Masson (Coste O et al.) recense de manière approfondie les enjeux pluridisciplinaires en lien avec la thématique des violences sexuelles dans le sport. Il est étonnant que ce sujet soit si tardivement traité, alors que la 1ère participation des femmes (qui en sont les principales victimes) aux JO datent de 1900 et que les idéaux de Pierre de Coubertin encourageaient dès le départ la préservation de la dignité humaine et les rapports pacifiques entre les sportifs et les pays, dans un contexte où le sport est généralement considéré comme indispensable à l’amélioration personnelle, au développement humain et à la santé. La recherche sur cette question est relativement récente, et s’accélère depuis une dizaine d’années en parallèle des mouvements #MeToo et #SportToo, au développement des approches de genre et l’émergence de scandales dans le cadre de la maltraitance d’enfants et d’adolescent-e-s dans d’autres contextes et leur mauvaise gestion par les personnes au courant (famille, école, église, secte, monde du spectacle, politique…). Il y a des ponts avec les travaux sur le caractère systémique de l’emprise sportive, le cyberharcèlement, qui nous intéressent particulièrement à l’UIMPV en rapport avec les violences psychologiques conjugales.

Les messages principaux à retenir de cet ouvrage sont :

-La grande fréquence des situations de violences sexuelles en milieu sportif,

-L’importance que les victimes puissent facilement et en toute sécurité en parler, et soient crues d’emblée, avec une position éthique des professionnel-le-s dans le respect et la protection des personnes,

-La prise en charge et les éventuels signalements qui doivent se faire sans délai,

-Un travail pluridisciplinaire qui doit se mettre en place,

-La nécessité d’un plan de prévention et de surveillance, incluant la maltraitance pédagogique et les autres types de violences, dans une culture de l’intelligence collective avec la participation active des parents et des hommes. Il y a donc nécessité de changer la culture institutionnelle qui perpétue un modèle de masculinité oppressif dans une expérience subie par les femmes et enfants malheureusement commune à différents niveaux d’un continuum en spirale,

-Le constat est que le sport valorise la performance physique, la domination de l’identité masculine et entretient et renforce les stéréotypes de genre, avec une sexualisation de la féminité entretenue par les médias.

Les violences sexuelles sont fréquemment associées à des violences psychologiques, du harcèlement avec parfois une incitation au dopage, à la tricherie et à des régimes alimentaires stricts. Les victimes peuvent être également témoins de violences et aussi auteurs de violences psychologiques sur d’autres victimes du groupe dans une dynamique de compétition et de pouvoir. Le rôle des coachs et des capitaines d’équipe pour prévenir les violences est important pour montrer l’exemple, limiter un dysfonctionnement systémique, défendre un climat sportif sécure. Le milieu sportif ne doit pas être un écosystème permissif qui favorise les violences sexuelles et sexistes.

La loi du silence a donc été récemment ébranlée, de même que les pratiques de déni de par la gouvernance du champ sportif qui protège ses structures et ses intérêts. En France, l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme sur les violences sexuelles et sexistes dans le sport en 2024 a fait avancer la cause avec de nombreuses recommandations, mais en soulignant la grande modestie des moyens mis en place au regard de l’emphase des déclarations, alors qu’il y aurait besoin de nombreuses réformes. Il est évoqué le besoin d’un signalement systématique des agressions et agresseurs, de campagnes de sensibilisation sur les conduites proscrites, les sanctions encourues et les modalités de signalement et de soutien etc. Il est demandé la création d’un Centre pour l’intégrité dans le sport (CIS) pour protéger l’intégrité des personnes, des compétitions et organisations, avec une lutte contre la corruption et les discriminations. Celui-ci existe en Suisse avec la Fondation Swiss Sport Integrity créée en 2022 par transformation de la Fondation Antidoping.

Ces documents précisent même certains interdits ou comportements inappropriés, comme l’interdiction pour un adulte de dormir dans la même chambre qu’un-e mineur-e, de rentrer dans les vestiaires et les douches, partager une douche, d’effectuer un massage sans la présence d’un tiers avec porte fermée, d’avoir des relations amoureuses sexuelles lorsqu’il y a un rapport d’autorité de fait ou de droit. Il est recommandé d’être plus vigilant lors de recrutement du personnel et dans le suivi médical et psychologique annuel des sportives et sportifs avec l’utilisation d’outils de détection des violences.

La façon dont le sport est représenté par la société a un impact direct sur le comportement des athlètes et de leurs responsables. D’où l’importance de repenser le sport de manière plus égalitaire et moins centrée sur les hommes et la culture viriliste.

Il existe encore un tabou autour des violences sexuelles perpétrées contre les hommes, les personnes LGBTIAQ+, en situation de handicap qui sont moins enclins à en parler. D’autre part, les cyberviolences sexuelles dans le cadre sportif ne sont souvent pas étudiées dans les recherches sur ce sujet. Il faut donc développer des recherches dans ces domaines.

Ces violences attaquent de manière importante la santé globale des athlètes surtout s’il s’agit d’enfants et d’adolescent-e-s mais aussi leurs performances sportives, avec un risque d’actes d’automutilation ou suicidaires, d’un impact scolaire à cet âge, le risque d’un arrêt total du sport ou d’activités de groupe à l’avenir.

 

Références :

Al Shouli K. Violences sexuelles et sexistes dans le sport : les éclairants travaux de la CNCDH. Santé mentale et droit 2024, 24:491-496.

Bigard X. Le harcèlement et les violences dans le sport : quelles stratégies de prévention ? Bull Acad Natl Med 2024, 208:298-304.

Clerincx T, Scahillée H, Spaaij R. Psychological violence and psychological bullying among children in sports : a systematic review. Aggression and Violent Behavior 82 (2025) 102049.

Coste O, Liotard P. Violences sexuelles et sport. L’essentiel pour agir. Elsevier Masson, 2024.

Hauw D, Marsollier E, Crettaz von Roten F. La violence interpersonnelle à l’encontre des jeunes sportifs européens : prévalence et gravité de la situation en Suisse romande. European Review of Applied Psychology 74(2024) 100930.

 

 

 

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